L’amour trompé d’Arsène Daoust

Aumond. 

CAPSULE DE NOTRE HISTOIRE / Je vais ici traiter des délices des amours interdites, car il est bien connu que dans la femme des autres, le diable met une cuillerée de miel et qu’un amant a toutes les qualités et les défauts qu’un mari n’a pas. Un proverbe finlandais dit : l’amour est un champ fleuri et le mariage un champ d’orties. Et c’est au pied de l’autel ou au palais de justice, que les personnes qui unissaient autrefois leur destinée se promettaient réciproquement fidélité.

Cette conception du mariage, dans lequel la fidélité doit jouer un rôle de premier plan, est apparue avec les philosophes classiques de la Grèce antique.


Toutefois, les hommes ont toujours voulu croire que l’exclusivité sexuelle concernait surtout les femmes, particulièrement leur conjointe. La Bible a d’ailleurs fortifié leur conviction. Ainsi, Sarah qui était stérile dit un jour à Abraham : « Voici que le Seigneur m’a empêchée d’enfanter. Va donc vers ma servante, peut-être que par elle j’aurai un fils. » Que demander de mieux ? Abraham ne se fait pas tirer l’oreille longtemps et partage la couche de sa servante. Si nos aïeules n’ont pas eu la même complaisance que Sarah envers leur conjoint, il n’empêche que l’exemple d’Abraham n’est pas resté stérile !

 Les personnes qui commettent l’adultère prennent généralement beaucoup de précautions pour assurer la confidentialité de leurs amours illicites et conserver une réputation irréprochable. Ils vont parfois jusqu’à accomplir des prouesses acrobatiques pour cacher leurs rencontres lubriques. Mais, en dépit d’efforts louables, des amants ont vu leurs relations coupables étalées au grand jour. En voici un exemple.

L’affaire Arsène Daoust

Arsène Daoust était un homme bien connu à Aumond (près de Maniwaki) où il opérait, depuis 1887, un moulin à farine sur la rivière Saint-Joseph. Âgé de 29 ans, il était allé chercher sa femme, la belle Ernestine Raymond, de huit ans sa cadette, loin de chez lui, à Saint-André d’Argenteuil à l’hiver de 1888.

 On s’imagine bien que pendant un certain temps Arsène et Ernestine ont vécu des nuits et des jours heureux. Mais 14 ans après les épousailles, les amours s’étaient, semble-t-il, quelque peu émoussées. Non pas qu’Ernestine n’était plus désirable – oh que non ! –, mais l’amour, si jamais amour partagé il y eut un jour, avait peut-être déjà fait place à l’habitude.

Ernestine était encore à l’âge où les femmes prennent plus de plaisir à commettre les péchés des sens... qu’à les confesser ! De Damase Roy, son cadet d’un an et hôtelier du village, elle s’est fait un amant zélé qui ira jusqu’à lui prodiguer des caresses voluptueuses sous le toit du… mari. Arsène Daoust soupçonnait-il son épouse d’avoir pris un amant ? Espérait-il la prendre en flagrant délit ? Gageons qu’il ignorait tous des agissements de sa tendre moitié. Car cela va de soi, le mari trompé n’est-il pas toujours le dernier à connaître son infortune ?

Un soir de janvier 1902, Arsène est revenu à la maison plutôt qu’on l’y attendait, et surtout plutôt que l’on y espérait. À la fenêtre d’une chambre du deuxième étage de la maison, on a aperçu le mari qui se dirigeait vers son logis où la moiteur capiteuse du corps repu de la belle Ernestine s’était, selon toute vraisemblance, soudainement transformée en sueurs froides. « Ah ! ciel, mon mari ! », aurait-elle pu s’exclamer – mais c’est plutôt l’enfer qui s’annonçait.


Et Ernestine de faire sortir, tout de go, son amant de la maison. C’est à ce moment-là que le meunier de la rivière Saint-Joseph a vu se dérouler, sous ses yeux que nous supposons ébahis, une scène digne des récits de Georges Courteline (1858-1929), fameux romancier français : Damase Roy sortant de chez lui à l’aide d’une corde faite de couvertures de lit et attachée à une fenêtre du deuxième étage de sa maison. Jean de Lafontaine a eu bien raison d’écrire : « Amour, amour quand tu nous tiens, on peut bien dire : “Adieu, prudence !” »

On ne sait comment l’époux trompé a réagi sur le coup de sa découverte, mais l’affaire n’en est pas restée là et toute la Vallée de la Gatineau a été mise au courant des plaisirs luxurieux de la chaude Ernestine, des prouesses de l’hôtelier et de l’infortune du meunier de la rivière Saint-Joseph. Parions que dans les chaumières d’Aumond on a chanté en chœur : « Meunier, tu dors, ton moulin bat trop vite... »La surprise a vraisemblablement été difficile à avaler et le mari, justement courroucé, a engagé des poursuites à l’encontre de l’hôtelier séducteur. Maître Arsène Daoust exigeait en guise de dédommagement la somme de 5 000 dollars pour la perte de... l’affection de sa meunière ! Bien entendu, Damase Roy a contesté haut et fort les allégations du mari dépité. Mais voilà, les deux personnes qui doivent témoigner en sa faveur lui ont fait faux bond et le juge a dû donner raison au meunier.

 On ne sait pas sur quel critère le juge s’est fondé pour évaluer le niveau de perte d’affection d’Arsène Daoust, mais ce dernier a eu droit à la piètre compensation de… 250 dollars ! Et la population d’Aumond, bonne enfant et compatissante aux malheurs de son meunier, l’élira, trois ans plus tard, à la mairie du village ! Quant à la belle Ernestine, elle choisira de continuer sa vie maritale avec son mari et n’aura pas d’enfant. Faute de mie, il faut savoir se contenter de la croûte !

Recherche des archives judiciaires et des journaux d'époque. 

Par RAYMOND OUIMET

Source : OUIMET, Raymond, Histoires de cœur insolites, Hull éd. Vent d’Ouest, 1994.


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