LAC DES FÉES
LAC DES FÉES
Caché derrière un écran de verdure, le lac des Fées est l’un
des beaux espaces naturels facilement accessibles depuis le centre-ville de
Gatineau. Situé dans le parc de la Gatineau,
Le lac ne s’est pas toujours appelé lac des Fées; il était
connu sous le nom de lac Christie jusque dans les années 1950. Il doit son changement
de nom à une légende amérindienne : à l’époque où le territoire faisait l’enjeu
de luttes farouches opposant Algonquins et Iroquois pour la maîtrise de la voie
navigable de la « Grande Rivière », un groupe d’Algonquins campait sur les
rives du lac des Fées. Parmi eux se trouvait une jeune femme d’une grande
beauté courtisée par deux jeunes guerriers.
La jeune femme hésitait, incapable
de choisir entre ses deux prétendants. Apprenant l’approche d’une expédition
d’Iroquois dans les environs de la chute des Chaudières, les hommes du
campement s’élancèrent à leur rencontre. Une bataille sanglante s’ensuivit au
cours de laquelle les deux prétendants trouvèrent la mort. La jeune femme,
désespérée, se lança du haut de la falaise dans les eaux glacées du lac.
La légende veut qu’on voie encore parfois la jeune femme qui
repose au fond du lac des Fées et s’appuie sur les récits de ceux qui assurent
avoir aperçu dans l’eau une jeune femme vêtue de blanc. Pour ceux qui seraient
en quête de visions plus bucoliques, le sentier du Lac-des-Fées, situé à
l’extrémité sud du parc de la Gatineau, longe le lac et permet d’observer de
nombreux oiseaux.
Le secret du lac des Fées*
par Pierre Calvé
Jamais je n’aurais cru que je raconterais un jour cette
histoire. Et encore moins l’écrire. Bien sûr, je savais bien que si je le
faisais, je me couvrirais de ridicule, mais j’avais surtout le sombre
pressentiment que je le paierais très cher si j’osais révéler ce que je croyais
être un terrible secret. Mais les évènements dont il sera ici question se sont
passés il y a plus de trente ans et j’ai finalement décidé, après mûre
réflexion, que je devais me vider le coeur, ne pouvant plus continuer à vivre
avec l’impression que j’étais sous l’emprise, et la menace, d’une entité aussi
mystérieuse que maléfique.
Voici donc le récit de cette histoire, telle que je l’ai
vécue, espérant que son dévoilement me libérera enfin de cet insupportable
fardeau.
Vers la fin septembre 1985, je me suis acheté un vélo de
montagne, modèle qui était tout nouveau à l’époque et avec lequel je comptais
parcourir les nombreuses pistes de randonnée du parc de la Gatineau. Le soir
même de son acquisition, vers 10h00, après les nouvelles, j’étais tellement
impatient que je décidai d’aller faire un petit tour dans le parc, dont l’une
des entrées était tout près de ma maison, dans le secteur Hull de ce qui est
maintenant la ville de Gatineau. Je me retrouvai bientôt sur une piste isolée,
longeant le côté nord du lac des Fées, un petit plan d’eau situé dans une
espèce de cratère profond complètement entouré d’arbres et impossible à voir à
partir de la route située beaucoup plus haut. Cette piste était le seul accès
au lac et pour vraiment s’en approcher, il fallait, une fois rendu en bas,
marcher dans les herbes hautes sur un terrain marécageux.
C’est ce que je fis,
attiré par le reflet des eaux argentées que je devinais à travers les herbes.
Arrivé tout près du petit lac, je m’assis sur un tronc d’arbre, admirant les
eaux parfaitement calmes et écoutant la myriade de sons émanant des rives marécageuses.
Comme je m’apprêtais à partir, vers minuit trente, j’aperçus
soudain, flottant au-dessus du lac et se dirigeant lentement vers moi, une
espèce de lueur blanchâtre, allongée et diffuse. Je crus immédiatement qu’il
s’agissait de la lumière d’une puissante lampe de poche éclairant la brume qui
s’élevait du lac. Mais une fois cette forme arrivée à une cinquantaine de pieds
de moi, elle s’arrêta quelques secondes, puis repartit à toute vitesse dans la
direction opposée pour finalement disparaître derrière une petite péninsule.
J’étais pétrifié parce qu’à cet instant précis, le souvenir
de la légende du lac me revint à l’esprit. Comme c’est bien connu dans la
région, le nom « lac des Fées » tient son origine d’une vieille légende
indienne selon laquelle l’esprit d’une morte habite le lac et se manifeste à
l’occasion sous l’aspect d’une forme blanche et translucide flottant au-dessus
des eaux. Je chassai toutefois bien vite cette idée, me disant qu’il s’agissait
sans doute d’un « feu-follet », nom pittoresque donné à un phénomène naturel
alors que des gaz émanant de la décomposition d’organismes en milieux humides
s’enflamment spontanément.
Dans les jours suivants, je pouvais à peine me concentrer
sur autre chose. Je refusais obstinément l’idée du surnaturel, mais au fond de
moi, je savais bien que je j’avais été témoin de quelque chose
d’extraordinaire. Alors quelques jours plus tard, je pris mon courage à deux
mains et une fois la nuit tombée, je retournai au même endroit et là, le coeur
battant et frissonnant de froid, je veillai aussi longtemps que je pus sans que
rien ne se passe.
J’y retournai le jour suivant et le surlendemain, mais sans
jamais revoir l’apparition. Le quatrième soir, un vendredi, je décidai d’y
passer toute la nuit s’il le fallait, et j’apportai avec moi une lampe de
poche, un thermos de café, un flacon de cognac et quelques sandwiches. Mais
cette fois, au lieu d’aller au même endroit, j’allai plus loin sur la piste et,
après avoir bien caché mon vélo, je descendis une pente très raide à travers
les arbres et m’installai juste à la pointe de la petite péninsule derrière
laquelle j’avais vu la forme disparaître la première fois. Et c’est là que tout
a commencé.
Au début, tous mes sens étaient aux aguets et je frissonnais
à chaque souffle de vent, à chaque son inhabituel. Mais après quelques heures,
et quelques rasades de cognac, je sombrai lentement dans un demi-sommeil, le
dos confortablement appuyé à un arbre. Un coup de vent aussi froid que soudain,
accompagné d’un froissement de feuilles mortes, me réveilla brusquement et
juste comme j’ouvrais les yeux, je vis la forme blanche apparaître derrière moi
et passer à une vingtaine de pieds à ma droite, se dirigeant lentement vers le
milieu du lac. Jamais je n’avais subi un choc aussi terrifiant. J’en étais
paralysé. Mes mains devinrent moites d’une sueur froide et je me mis à trembler
incontrôlablement, mon coeur battant si fort que je pouvais l’entendre. Cette
fois je savais que j’étais en présence de quelque chose de surnaturel et je me serais
enfui à toutes jambes si ces dernières, pétrifiées, avaient pu m’obéir.
Quelques instants plus tard, je la revis qui s’approchait
lentement vers moi. Figé de terreur, je pouvais à peine respirer. Elle passa
alors à ma gauche, entra dans la forêt et s’arrêta à une quinzaine de pieds de
la rive, au-dessus d’une petite clairière entre les arbres. Et là, très
lentement, elle disparut sous terre, pour réapparaître quelques instants plus
tard, toujours précédée de ce souffle d’air à me glacer le sang. Malgré ma
terreur, j’eus alors le temps de l’observer un peu plus attentivement. À
travers le voile qui la couvrait complètement, je devinai une vague forme
féminine. Son visage, blafard, ne montrait aucune expression, sauf pour trois
taches sombres là où devaient se trouver les yeux et la bouche. Après un
moment, elle retourna finalement dans le sol pour ne plus en ressortir.
Totalement hébété, je retrouvai assez de force pour
escalader la pente, récupérer mon vélo et retourner chez moi où, malgré mon
épuisement, je passai le reste de la nuit à tenter fébrilement de chasser de
mon esprit ce que je savais qu’elle attendait de moi. Mais au matin, malgré
l’angoisse qui m’étreignait, ma décision était prise: je retournerais le soir
même sur la péninsule, muni d’une pelle, et je creuserais à l’endroit où elle
était disparue.
Or plus l’après-midi avançait, plus mon état de fébrilité
augmentait. J'étais extrêmement impatient tout en voyant malgré tout avec
horreur l'heure du départ qui approchait inexorablement. Encore aujourd'hui je
n'arrive pas à m'expliquer ce qui pouvait bien me faire sentir totalement
obligé d'aller exhumer ce qui était évidemment la tombe d'une morte-vivante.
Je quittai la maison vers 11h00, après avoir ingurgité de
force un morceau de poulet froid. Vêtu de noir des pieds à la tête, je pris
avec moi des gants, du cognac, de l’eau, une lampe de poche et une pelle à
manche court que j’attachai sur mon vélo. Le ciel était couvert et la nuit
sombre et lugubre. Une fois rendu à la hauteur de la péninsule, je cachai le
vélo, pris ma pelle et entrepris de descendre, rempli d’appréhension, vers
l’endroit fatidique. Arrivé à une vingtaine de pieds de la tombe, je me cachai
derrière un gros arbre et attendis, espérant de toutes mes forces la voir
sortir, si ce n’était déjà fait, pour être sûr qu’elle ne serait pas sous terre
quand je commencerais à creuser. Mais une heure s’écoula sans que rien ne se
passe et je dus me résoudre, tremblant de frayeur, à me mettre au travail. La
peur de la voir apparaître sous mes pieds était intolérable.
Le sol était dur, plein de gros cailloux et de racines que
je devais couper avec le tranchant de la pelle. Au bout d’une heure, je n’avais
dégagé qu’un trou d’environ 2 pieds de large, 5 pieds de long et 2 pieds de
profondeur. Il me fallut une autre heure pour atteindre environ 4 pieds de
profondeur et c’est là qu’après avoir sorti du trou une roche particulièrement
lourde, je touchai à ce qui semblait être une racine, sans toutefois en avoir
la texture. Saisissant ma lampe de poche, je me mis à genoux et dégageai de mes
mains gantées ce que je m’attendais à trouver: un os.
Je laisse au lecteur le soin d’imaginer ce qu’était mon état
d’esprit à ce moment-là. Même si je m’attendais bien à trouver un squelette, je
n’avais aucune idée de ce que j’en ferais ou alors de ce qui m’arriverait une
fois devant lui. La peur que quelque chose se mette à bouger était intolérable.
Malgré tout, après une bonne gorgée de cognac, et rempli d’une horrible
appréhension, j’entrepris de dégager de la main, et avec grande précaution, le
reste du squelette. L’os que j’avais touché était celui de l’épaule gauche et
après l’avoir dégagé, j’entrepris de nettoyer la cage thoracique, laquelle je
trouvais moins menaçante que la tête. C’est alors que je découvris que les deux
mains, jointes juste à gauche du sternum, étreignaient quelque chose. Avec une
extrême prudence et les nerfs sur le point d’éclater, je retirai un à un les
doigts de l’objet et découvris peu à peu un poignard noir planté entre deux
côtes juste au-dessus de l’endroit où s’était trouvé le coeur. J’allumai alors
ma lampe de poche et vis immédiatement, sur le manche du poignard, deux pierres
rouges très brillantes posées côte à côte. C’étaient les yeux d’une monstrueuse face grimaçante,
démoniaque, dont la seule vue me fit frémir d’effroi. Le reste du poignard,
taillé dans une seule pièce de ce qui ressemblait à de l’ivoire, avait la forme
d’un corps de femme dont les hanches démesurées servaient de garde.
Je savais ce qu’il me restait à faire. Après une bonne
rasade de cognac, je saisis le manche et tirai doucement vers moi en le faisant
bouger de gauche à droite. Le poignard resta solidement planté entre les os.
Posant alors un genou sur la cage thoracique, j’empoignai le manche fermement
des deux mains et d’un coup brusque le tirai de sa position. Le poignard me fut
aussitôt arraché des mains avec une violence inouïe et je tombai abasourdi sur
le dos. Et c’est alors qu’émergeant de la noirceur dans laquelle j’étais
plongé, je la vis apparaître au-dessus de moi et s’arrêter un moment avant de
se dissoudre lentement en gouttelettes de lumière dans l’espace.
Je sus à ce
moment-là que je ne la reverrais jamais.
Toujours en état de choc, j’attrapai ma pelle et ma lampe de
poche et m’extirpai du trou au plus tôt, terrorisé à l’idée de recevoir en
plein coeur l’horrible poignard. Mais après m’être éloigné en courant de la
fosse, je trouvai finalement assez de courage pour retourner la remplir et la
recouvrir de feuilles mortes.
Ce soir-là je m’endormis complètement épuisé mais me
réveillai en sursaut quelques instants plus tard pour apercevoir au-dessus de
moi deux yeux rouges effrayants qui me fixaient dans le noir. L’idée que je
pourrais être la prochaine victime de ce monstre si jamais je dévoilais mon terrible
secret ne m’a jamais quitté. Mais voilà qui est fait et si un jour je
disparaissais soudainement sans laisser de traces et que vous appreniez qu’une
forme humaine avec un casque de vélo a été vue flottant au-dessus du lac des
Fées, ne cherchez surtout pas mon cadavre si vous tenez à la vie.
· Ce conte a été
publié en août 2017 dans La voix de chez nous, bulletin de Lac-Ste-Marie, ainsi
qu’en 2019 dans le livre Escapades printanières, publié par FADOQ outaouais.
Auteur Pierre Calvé
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