Bouchette, vu par Raymond Dessurault



Je suis né à Bouchette, petit village de la Haute-Gatineau, sur la rive de la rivière qui porte le même nom.  Petit village plein de mystère, de légendes, de loups-garous et de plus avec orgueil, avait son club de menteurs. À l'endroit du village, la rivière s'élargissait et faisait une imposante baie qui était presque ronde. Plusieurs fois, dans ma jeunesse, j'ai passé des heures et des heures à regarder le mouvement des billes de bois qui tournaient comme une grande roue et quand sonnait minuit, le génie de la rivière, d'un grand coup de main, vidait cette grande masse de bois. Ensuite, le manège recommençait, quitte à se vider sur le coup de minuit.
À l'époque, il faisait bon d'y vivre, les jours s'écoulaient doucement, on avait peu à comparer avec aujourd'hui, mais on était satisfait de peu.  On s'éclairait à la lambe à l'huile et les routes étaient fermées pour la saison hivernale, de fin novembre jusqu'à la fin d'avril.  L'esprit de famille, de coopération et de charité qui unissait la population faisait qu'on était plus heureux qu'aujourd'hui.
 Bouchette était avant tout, une paroisse agricole à 80 %, mais après les travaux de ferme terminés, ces mêmes agriculteurs passaient l'hiver à travailler dans la forêt.  Dans le temps, les forêts étaient contrôlées par deux grandes familles anglo-saxonnes, les Gilmour et les Edwards.
Bouchette

Les rudes paysans qui avaient arraché leurs lopins de terre, pouce par pouce à la forêt, étaient obligés de s'exiler pour l'hiver enfin de subvenir aux besoins essentiels de leur famille nombreuse.
Les compagnies employeurs les payaient au formidable salaire de 8 $ par mois... c'était le bon temps. La population, à 90 % canadienne-française catholique, se regroupait autour du clocher de l'imposante église de pierre, arrachée à la majestueuse montagne, située en face, et qui semble veiller sur elle.
 Le dimanche, c'était impressionnant de voir ce long cortège de chevaux attelés, au traditionnel "Bog his", que conduisaient ces rudes croyants, pour recevoir les conseils du curé. Ils faisaient une réserve de patience et remerciaient le Bon Dieu pour la santé dont presque tous jouissaient.
Le pasteur était un pince-sans-rire qui se plaisait de dire; "Mon nom est Albert Forget, je suis né à Ste-Elizabeth". C.était un saint homme, dévoué, mais pas orateur pour deux sous.  On avait droit au même sermon tous les dimanches. Au moment où le pasteur montait en chaire, pour expliquer l'Évangile, il fallait voir ces rudes travailleurs s'installer confortablement et "cogner un petit somme".  

En fait de prêcheur brillant, Bouchette n'a jamais été gâté, "je me rappelle, un peu plus tard, le curé Napoléon Richard , discoureur hors pair, qui,une fois monté en chaire, inspirait la relâche.  Quelques minutes à peine et on pouvait entendre marcher une souris, tout le monde était endormi.
Curé, Napoléon Richard
Ce même pasteur était un marcheur inlassable qui aurait pu faire pâlir n'importe lequel athlète olympique.  Ce qui lui fit dire à un de mes oncles, en réponse à sa question: "Où allez-vous de ce train-là, M.le curé ?" "Bien je vais vous dire M.Morin, il y a une femme dans les environs qui ne peut dormir, j’ai donc décidé d'aller lui faire un petit sermon et je suis certain que je vais la guérir de son insomnie". Tout ceci étant sans malice et c'était le bon temps.
 Ainsi la vie s'écoulait doucement, sans heurts.  La paroisse de Bouchette se composait de deux cantons: Bouchette et Cameron. Un pont qui enjambait la rivière Gatineau, au-dessus d'un léger rapide les reliait.

Texte de Raymond Dessureault
Du livre historique de Bouchette
Recherche; Daniel Cécire





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